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Vilaine Fifi
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9 avril 2010

Lucian Freud, L'Atelier, au centre Pompidou

freud_affichePlus de vingt ans qu'une exposition n'avait pas été consacrée au peintre britannique Lucian Freud et c'est le centre Pompidou qui se charge de réparer cet "affront" en proposant une présentation monographique sur l'artiste regroupant une cinquantaine d'oeuvres reliées par un grand thème "fil rouge" : l'atelier.

Autour de quatre sous-thèmes, nous découvrons l'importance significative que revêt son atelier pour cet artiste qui, loin d'être un peintre voyageur, a toujours affectionné de peindre dans son laboratoire, son royaume, dans lequel il sait se créer un univers intime et personnel qu'il ne partage qu'avec ses modèles, des personnes qu'il connaît personnellement et qu'il côtoie de manière régulière.

Si cette exposition met en avant les oeuvres créées par Freud à partir de 1960, elle s'ouvre sur une toile de 1944 intitulée The Painter's room qui, bien que très éloignée des autres peintures présentées, semble donner le ton d'entrée par ce qu'elle nous donne à voir. On y trouve en effet des éléments récurrents dans l'oeuvre de Freud, des objets dont il s'entoure systématiquement dans ses différents ateliers (il travaille de 1943 à 1977 dans celui de Paddington puis dans celui de Holland Park qu'il quitte en 1989 pour celui de Notting Hill) : un sofa, une fenêtre et une plante verte.

Freud__Painter_s_Room_1943

L'exposition s'articule donc autour de quatre thèmes nous permettant de parcourir l'atelier du peintre ; le premier, Intérieur/ Extérieur, étant le plus explicite.

A partir des années 60, Freud peint ce qu'il nomme des "large interior", des scènes d'intérieur représentées sur des toiles de très grand format. Il y place ses modèles dans des scènes anodines du quotidien légèrement troublées -ou carrément bouleversées- par l'intervention d'un objet incongru, d'un détail ou par leur cohabitation incohérente qui rend l'ensemble surprenant ou dérangeant, comme sur ce tableau de 1998 où l'homme au second plan donne le sein à l'enfant qu'il tient contre lui.

large_interior_notting_hill

Je vous le disais, les objets et le mobilier composant les ateliers de Freud sont très importants pour lui. Il s'entoure toujours d'un sofa, d'un fauteuil, d'une plante, d'un lit en fer forgé, d'un lavabo, sans oublier les murs maculés de peinture tels des palettes géantes, enfermant le peintre dans son monde.

freud_atelier_2

Une des toiles qui m'a alors vraiment impressionnée s'intitule Two japonese wrestlers by a sink.

freud_jap

Tout d'abord, j'ai trouvé admirable et saisissante la manière dont est ici reproduit cet objet monstrueusement banal. L'eau qui coule, transparente, contrastant avec la crasse recouvrant le fond du lavabo et la rouille qui court le long de la plomberie m'ont éblouie. Et puis surtout, ce qui m'a frappée est que ce fameux lavabo se retrouve au centre du tableau, éclipsant totalement ce qui est censé en être l'objet, les deux lutteurs japonais, relégués au second plan.

Freud peint donc à l'intérieur de son atelier, entouré d'objets familiers, face à des modèles qu'il choisi et qu'il connaît. Il peint également des vues d'extérieur, des usines ou des jardins, mais toujours perçues depuis la fenêtre de son atelier, ce qui renforce, de mon point de vue, l'impression d'enfermement puisque l'extérieur semble être un prolongement de l'intérieur qu'on ne peut pas atteindre.

freud_paddington

La visite se poursuit avec la découverte d'un thème fascinant, Reflexion : autoportrait.

Très tôt, dès les années 40, Freud -comme tant d'autres artistes-  se tire le portrait. Mais ce qui m'a interpellée dans sa démarche c'est qu'il joue avec la double acception du mot anglais reflexion qui signifie aussi bien reflet que conscience de soi. Ses autoportraits sont donc des reflets de sa personne sans pour autant être de simples représentations, imitations du réel. Il ne se peint pas comme il se voit (dans le miroir qui lui sert d'outil de travail) mais comme il se ressent.

C'est dans cette section que j'ai pris pleinement conscience de la technique utilisée par Freud pour peindre. Si au début de sa carrière, ses traits sont très fins, méticuleux, donnant à ses peintures des airs de dessins incroyablement précis, il développe à partir de 1954 une technique plus nerveuse, pleine de vigueur, appliquant des touches grossières donnant à ses représentations une apparence beaucoup moins lisses, tout en relief, semblables à la texture de la peau.

freud_autoportrait1

painterworkingreflection1993

Le seul moment où Freud sort -de manière symbolique- de son atelier, c'est lorsqu'il se lance, à partir des années 80, dans la relecture des classiques en produisant des oeuvres d'après les maîtres Chardin, Cézanne et Constable. Mais si Freud leur rend hommage en reprenant la composition générale de leurs toiles, il s'amuse avec en y ajoutant un soupçon d'ironie et de malice en modifiant, par exemple, le format d'un tableau.

after_cezanne_freud

Nous arrivons alors à la quatrième partie de l'exposition, celle qui m'a vraiment impressionnée et chamboulée. Comme la chair : scénographies et composition se propose de nous faire découvrir le travail de Freud sur ses nus. On constate d'emblée qu'il choisit d'intituler ces oeuvres naked portrait et non pas nude, afin de mettre en avant qu'il peint bien des personnes dêvétues et non des nus académiques.

Si les nus sont généralement des représentations embellies de l'être humain, Freud pose un regard très cru et sans concession sur les corps qu'il donne à voir. Ce qui intéresse le peintre c'est la chair, abondante, flasque, marquée par le passage du temps. Il n'hésite pas à représenter la déchéance, la décrépitude des corps, ne gommant aucune cicatrice, aucune bizarrerie.

leigh_freud

Aussi, on lui connaît deux modèles attitrés, Sue Tilley, une femme obèse et le perfomer Leigh Bowery, un homme à la carrure très impressionnante. Les nus de Freud n'ont rien de foncièrement beau mais sont surtout inconvenants. Les modèles posent de manière totalement impudique, les jambes écartées, le sexe bien en vue. Malgré tout, il y a quelque chose de touchant dans ses tableaux qui nous montrent des personnes simples, prisonnières de leur corps, des gens ordinaires et étrangement familiers.

freud_sue

Tous ces corps, imposants et obscènes mais avant tout tellement humains, ne sont pas sans rappeler les sculptures hyperréalistes de l'australien Ron Mueck.

Par ailleurs, pénétrer dans cette dernière salle m'a rappelé l'impression ressentie en découvrant la salle regroupant la série des Awakened lors de l'exposition consacrée à David Lachapelle l'an dernier. Toute cette chair, ces corps qui nous entourent, sont vraiment déstabilisants.

Enfin, si les nus de Freud peuvent à première vue sembler dérangeants, on s'aperçoit qu'ils irradient véritablement, qu'ils sont chargés d'une luminosité très vive, superbe, qui se dégage d'un arrière-plan immaculé ou d'une lumière extérieure diffusée par les fenêtres de l'atelier.

freud_standing_jpg_hansha_1072323104

La position allongée que prennent les modèles, leur attitude alanguie, inerte, les draps blancs sur lesquels ils reposent souvent, ne sont pas sans donner aux toiles un aspect mortuaire qui contraste avec la puissance et l'épanouissement des corps qui, paradoxalement, semblent pleins de vie.

L'oeuvre de Freud donne donc à réflechir puisqu'elle propose plusieurs angles de lecture. L'exposition rend très bien compte de cette particularité car en très peu de toiles finalement, elle nous permet d'en prendre pleinement conscience. Vous imaginez donc que j'en pense le plus grand bien ! Elle m'a en effet permis de découvrir un artiste que je ne connaissais pas du tout mais plus encore, à me le faire aimer passionnément.

Exposition ouverte jusqu'au 19 juillet. Tarif : 12/9 euros

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Commentaires
E
Merci beaucoup !<br /> Bon, au moins, ça prouve que je ne pense pas que des idioties ;)
E
Prends prends prends ma Livy !<br /> Il s'agit de mon expo coup de coeur de ce début d'année donc je ne peux que t'y pousser !<br /> Et puis, comme toujours, je suis bien trop curieuse de connaître tes sentiments dessus ;)<br /> Gros bisous tout plein :)
E
J'ai vraiment découvert Lucian Freud grâce à cette exposition et, une chose est sûre, je ne le regrette pas ;)<br /> Gros bisous :)
E
Merci ma douce Marilyne :) ça me fait très plaisir !<br /> J'espère que l'exposition te plaira autant qu'à moi, en tout cas, ça ne m'étonne absolument pas qu'elle soit sur ta liste "à faire" !<br /> Gros bisous ma belle :)
E
Les tableaux sont comme tu dis, beaux et dérangeants, je vois que tu as lu mon article avec attention, merci ma puce !<br /> L'exposition m'a vraiment touchée, tu m'as grillée ;)<br /> En fait, c'est tout à fait le genre de "création" qui n'a rien à voir avec mon "travail" mais qui me remotive énormément malgré tout. C'est difficilement explicable mais, en gros, j'ai trouvé les toiles de Freud très inspirantes.<br /> Gros bisous ma Poleenette :)
Vilaine Fifi
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