Fall in love
L'été se retire peu à peu, les jambes des filles se gainent à nouveau de noir (ou de collants couleur chair puisque, paraît-il, c'est la tendance), les pulls en cachemire retrouvent leur place de choix dans la penderie tandis que prolonger la soirée autour d'un cocktail en terrasse ne semble plus vraiment possible si celle-ci n'est pas chauffée. Oui, l'automne est bien là. Le gris du ciel, les week-ends pluvieux, la Chaîne Météo jouant les Cassandre et les premiers coups de froid sont là pour nous le rappeler. Alors, même si nous allons tous regretter l'été ("quel été ?" me direz-vous), la légèreté sous toutes ses formes, les petites robes et les envies d'ailleurs, la nouvelle saison que nous accueillons aujourd'hui apparaît pleine de promesses.
Ce mois de septembre et l'automne qui en marque la fin riment avec rentrée des classes. Mon long, très long, silence, ne vous aura pas échappé et je peux vous certifier que j'en suis la première navrée. Je pensais réellement que mon dernier billet marquait un nouveau départ, une véritable reprise des publications sur un autre rythme, moins soutenu que par le passé mais raisonnable, disons pondéré. Mais quelques faits inattendus m'ont gardée bien loin de mon petit monde virtuel, comme cette évaluation que j'ai dû préparer en quelques heures pour la pré-rentrée des étudiants puis corriger en à peine deux jours pour que soient constitués les différents groupes. J'ai, dans la foulée, appris que si je le souhaitais je pouvais prendre en charge deux autres groupes, soit trois heures de cours supplémentaires, proposition que j'ai -bien évidemment- acceptée. Les semaines seront donc très chargées, avec ces six heures de présence à l'université et les -presque- quatre heures de transports qui vont avec, en plus de la recherche, thèse, articles, colloques et la vie du laboratoire qui ne tardera pas à reprendre.
J'ai la chance des universitaires : celle de pouvoir diriger mon TD comme je le souhaite, de faire mon propre programme, d'organiser mes séances et mes semestres selon mes envies et ce qui me semble être le mieux pour les étudiants. Mais avoir carte blanche n'est pas l'évidence même surtout pour qui n'a jamais enseigné. Comment les intéresser ? Comment leur faire comprendre que tout ça est dans leur intérêt ? Comment rendre un cours de français dynamique et intéressant aux yeux d'historiens et de géographes ? Il aura fallu beaucoup de réflexion, de longues discussions, écouter les conseils avisés et ignorer les persiflages pour finalement proposer un programme qui semble satisfaire tout le monde, moi et ceux que j'aimais appeler, dans l'intimité, "les débiles de première année". Je les ai tous découverts cette semaine, une quarantaine mardi matin, une bonne vingtaine mercredi, et je dois admettre qu'ils me sont déjà très sympathiques. Suffisamment adultes pour être responsables de leurs choix et de leur comportement (ce qui m'ôte un poids considérable), on peut toutefois voir dans leurs yeux que l'enfance n'est pas qu'un souvenir ; leur besoin d'être rassurés sur des détails, leur timidité lorsqu'ils entrent dans la salle un peu trop tard, leur sourire en la quittant sans manquer de me souhaiter une bonne journée, ces "aaaaaahh !" enjoués lorsqu'après maints exemples la fameuse règle apprise il y a bien longtemps leur redevient familière, toutes ces petites choses et celles que je dois encore découvrir ont rendu ces deux premiers jours de cette nouvelle vie épanouissants. L'aventure ne fait que commencer, il est vrai, néanmoins je suis heureuse de pouvoir objectivement penser et dire qu'enseigner me plaît beaucoup, rassurée de me sentir finalement à ma place derrière ce bureau, sans avoir l'impression de jouer un rôle, de porter un costume trop large pour mes épaules, sans me sentir différente de celle que je suis vraiment, sans en tirer une quelconque fierté mal placée. L'époque où, entre ces hauts murs, je cherchais, paniquée, l'amphi Dickens me semble à la fois toute proche et terriblement lointaine. Les années universitaires se sont écoulées bien trop vite, les diplômes se sont accumulés sans grande surprise, comme s'il n'y avait pour moi que cette voie à sens unique. Cette expérience agit donc comme un moteur, celui qui me donne l'envie de faire avancer activement ma thèse, de faire mes preuves et qui me fait déjà espérer pour un prochain automne, une prochaine rentrée, un autre TD, de littérature cette fois. En attendant ce grand moment qui viendra peut-être un jour, peut-être pas, j'aurai tout le loisir de travailler avec mes historiens-géographes sur des oeuvres qui me tiennent à coeur dans l'espoir de faire naître en eux un intérêt, même minime, même furtif, pour les mots et leur réconfort. Joyce Carol Oates, Simone de Beauvoir, Nancy Huston,... seront de la partie d'une manière ou d'une autre car même si je pense avoir trouvé dans ces salles de classe un bonheur nouveau, la passion que j'ai pour ces auteures demeure plus forte, essentielle.
Je vous souhaite à tous un très bel automne, de longues balades en forêt, des chocolats chauds épais, des thés fumants et des petits gâteaux tout juste sortis du four, des bottes couleur caramel et des écharpes douillettes, des lectures réconfortantes, de jolies soirées en amoureux.