Deadline, au musée d'art moderne
En ce moment se tient au musée d'art moderne de Paris une exposition très intrigante, Deadline.
Consacrée à douze artistes internationaux, elle réunit dans de vastes salles, leurs toutes dernières oeuvres, réalisées à la fin de leur vie, alors qu'ils se savaient tous condamnés.
Malades du sida ou du cancer, atteints de maladies incurables, victimes de pertes de mémoire ou encore paralysés, ils ont tous continué de produire des toiles, photographies et installations jusqu'à la fin de leurs jours.
Il est donc très intéressant de voir comment ils ont, chacun à leur manière, gérer l'approche imminente de leur propre mort et l'influence de celle-ci sur leurs oeuvres.
Au fil des salles, on découvre des artistes très différents mais pour la plupart très inspirants et enthousiasmants. En effet, alors que cette exposition aurait pu être morbide et dérangeante, elle se révèle pleine d'énergie et, paradoxalement, de vie.
Si je dois bien avouer que certains artistes ne m'ont pas touchée (l'art moderne est parfois assez hermétique !), trois ont véritablement retenu mon attention et m'ont même bouleversée.
Tout d'abord, j'ai été séduite par les photographies en noir et blanc de l'Américain Robert Mapplethorpe, qui offre(nt) une réflexion très intéressante sur la perfection du corps. Ses nus statuaires sont superbes, il joue avec les formes, la lumière, et met en valeur les muscles de ses modèles qui nous apparaissent alors comme la perfection incarnée pour l'éternité.
Ensuite, ce sont les installations du plasticien chinois Chen Zhen qui m'ont interpellée. Atteint d'une maladie rare et incurable, il met le corps humain au coeur de ses dernières oeuvres. Mais contrairement à Mapplethorpe qui semblait vouloir mettre en avant la beauté du corps humain, Chen Zhen insiste sur son caractère fragile. L'Homme n'est rien face à la maladie, une brindille qu'un simple dignostic peut briser. Aussi, il propose plusieurs installations mettant en scène des formes organiques en cristal, aussi vitales que fragiles. Son travail m'a alors fait penser à celui de Frida Kahlo, très fragilisée elle aussi depuis l'accident qui a brisé son corps à dix-sept ans, puisque l'artiste mexicaine mettait également le corps humain et les organes au coeur de ses tableaux. Je n'ai donc pas été surprise d'apprendre que Chen Zhen avait grandi dans une famille de médecins, tout comme Kahlo avait commencé par entreprendre des études de médecine avant de se consacrer à la peinture. Parmi les autres installations de Chen Zhen, j'ai été troublée par une sorte de lit-berceau, enveloppé de vêtements ayant appartenu à des malades. Mi-lit d'hôpital, mi-berceau de bébé, tout un tas de sons dérangeants (cris, pleurs,...) en sortent à travers des espèces de hublots (c'est difficile à décrire, désolée !).
Enfin, les peintures de l'Allemand Jorg Immendorff m'ont littéralement scotchée. Atteint de la maladie de Charcot et donc paralysé, le peintre et professeur continuera de produire des toiles vraiment superbes grâce à toute une équipe de petites mains qu'il guide tel un marionnettiste. Je n'ai malheureusement pas trouvé de photos de ses oeuvres suffisamment nettes sur le Net (ahah) et j'en suis bien déçue car j'aurais souhaité vous donner envie de les découvrir de vos propres yeux. Pour tenter de les décrire, je dirais surtout qu'elles se composent toutes d'une espèce de forme noire un peu brouillonne qui prend forme à mesure qu'on la regarde et finit par révéler un corps minutieusement tracé : un démon ailé, une belle violoncelliste,... Autant vous dire que j'ai passé beaucoup de temps dans cette salle (la dernière de l'expo), tout d'abord conquise par les toiles dans leur ensemble puis fascinée par ce procédé que j'ai pris plaisir à détailler en regardant les toiles de loin puis de près, depuis un angle, puis d'un autre.
Outre ces trois artistes qui m'ont marquée, d'autres ont également été de belles découvertes comme Martin Kippenberger qui se met lui-même en scène dans ses toiles reproduisant les poses des survivants du Radeau de la méduse, Hannah Villiger qui propose des montages de photos de son corps de femme malade ou encore James Lee Byars qui met en scène sa propre mort dans une pièce recouverte de feuilles d'or.
On constate donc que l'approche de leur mort pousse certains artistes à se mettre eux-mêmes en scène dans leur travail. Une manière de se fixer pour de bon dans l'éternité peut-être ou de montrer que leur corps malade peut encore être un outil de travail, une source d'inspiration.
Pour d'autres, l'annonce d'une mort imminente semble être à l'origine d'un grand besoin de liberté, comme Gilles Aillaud qui peint des oiseaux en plein vol dans des paysages immenses alors qu'il avait peint jusqu'ici des animaux en captivité.
Enfin, chez Joan Mitchell et Hans Hartung, l'approche de la mort est le moteur d'une nouvelle énergie qui se traduit par des explosions de couleurs vives et des traits vifs recouvrant des toiles de grand format.
Une exposition vraiment intéressante qui nous permet de découvrir des artistes qu'on ne connaît pas forcément (mis à part Joan Mitchell et Mapplethorpe que je connaissais de nom, les autres m'étaient étrangers) et surtout qui ose aborder un sujet qui demeure tabou dans notre société sans pour autant nous déprimer.
Bien au contraire, on ressort du musée avec une fureur de vivre retrouvée.
C'est où ? Au musée d'art moderne de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris.
C'est quand ? Jusqu'au 10 janvier 2010. Musée ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h.
C'est combien ? 6/ 9/ 12 euros (mais bizarrement, il me semble avoir payé 4 euros avec le tarif jeune moins de 26 ans).