Il est temps pour les pauvres de s'enrichir, pour les riches de mourir
Dans mon dernier billet, un brin bordélique, j'évoquais un tour du monde cinématographique tant les propositions du moment virevoltent au-dessus des frontières. La semaine passée, nous étions en Bulgarie (sombre et délicat Avé, film pudique et rempli d'énergie dont j'aurais aimé vous parler davantage) puis à Glasgow (violent et étrangement tendre Tyrannosaure). Nous avons même traversé les Etats-Unis en compagnie de Jonathan Caouette et de sa maman (Walk away Renée) en faisant un détour par le Mexique (Miss Bala, désespérément raté). Les passeports restent à portée de main car très bientôt c'est en Allemagne (Barbara) que nous poserons nos valises et pourquoi pas en Norvège (Baby Call) avant de prendre la direction de la Chine pour 11 Fleurs. Rien que ça ! Pas de décalage horaire à subir ni de Lexomil à s'enfiler par dix avant de grimper dans l'avion. Tout bénéf' et hyper-écolo.
C'est par ce moyen très efficace, descendant de la lanterne magique (rien d'étonnant à cela) que nous avons eu l'occasion de passer quelques jours en Israël, au coeur d'un film qui m'a impressionnée par sa puissance discrète, Le Policier. Devant la caméra de Nadav Lapid, le conflit israëlo-palestinien appartient au hors-champ et c'est la guerre des classes qui est mise en scène. Dans un film qui se déroule en deux temps (découpage pertinent qui met en valeur la mise en scène ultra-maîtrisée, presque glaçante), le réalisateur oppose une unité d'élite de la police israëlienne à un groupe de jeunes révolutionnaires.
La première partie nous invite donc à suivre Yaron et ses collègues-amis, des hommes, des vrais, virils et musclés qui ne manquent pas une occasion de mettre à profit leurs biscotos. Dans leur univers, le corps est conquérant, la sexualité débordante. Les femmes sont belles, et on n'oublie pas de le leur dire, ou enceintes, ce qui apparaît comme valorisant (il ne faudrait pas que la vigueur masculine soit mise en doute) mais pénible (une future mère n'est pas baisable). Yaron et ses potes ne peuvent souffrir les corps diminués ce qu'apprend à ses dépens leur collègue Ariel ravagé par une tumeur. Posture paradoxale et, de fait, passionnante, puisque très rapidement, on s'aperçoit qu'eux-mêmes forment un corps social fragile et instable qu'un rien suffirait à faire exploser.
Face à eux, un autre groupe, trois gars-une fille. Esprits en formation, corps en transformation. Une folle détermination les anime dont l'origine reste vague : issus d'un milieu bourgeois, cultivé, ces jeunes terroristes israëliens veulent faire la peau à quelques hommes d'affaires parmi les plus riches du pays. Ils se réunissent, s'organisent, rédigent leurs revendications, des textes trop beaux pour être souillés par du sang. Les regards se croisent, les coeurs s'emballent. L'un aime l'une mais l'une aime l'autre. Dans leur monde encore si fragile, le sexe ne s'expose pas mais un érotisme pudique s'impose. Baisers échangés, espérés, volés, attendus. Les corps se frôlent et se désirent, les mains se cherchent, saisissent un archet, un violon et font des merveilles puis empoignent une arme et le temps s'arrête.
Corps à corps.
D'un côté comme de l'autre, le spectateur s'attache, suit avec intérêt et interrogations les parcours parallèles puis croisés de cette jeunesse israëlienne rongée par la haine et les peurs. Pour autant, nos sentiments demeurent indéfinissables, ni aversion, ni empathie, comme leurs esprits à eux semblent insondables, insaisissables jusqu'à la scène finale -dont je ne dirai rien de trop- d'où sourd enfin une émotion simple et belle.
Du coeur au coeur.
Sans m'étendre outre mesure, peu de temps après cet intense moment de cinéma, l'occasion m'a été donnée de voir un film que j'avais volontairement fui lors de sa sortie en salle.
Et la comparaison s'est imposée. Ici aussi, deux corps s'opposent. Celui de l'un ne répond plus, celui de l'autre s'exprime pour deux. Le sexe n'est qu'un souvenir ou une quête permanente. Mais les classes, elles, ont cessé de lutter malgré leurs différences dont elles ont enfin appris à se nourrir. Le lascar de banlieue met de la vie dans le quotidien monotone du richard Paris VII° qui, de son côté, permet à son nouvel ami d'aquérir une culture artistique essentielle, juste ce qui lui manquait pour devenir définitivement un mec bien. Dans ce film aussi, la police a son mot à dire, dès la scène d'exposition (un honneur, n'est-ce pas ?). Trente secondes montre en mains pour, encore une fois, dévaloriser une profession qui n'en a pas besoin (mais ça fait tellement marrer le bon peuple de casser les flics) (ce même bon peuple qui pleure sa maman dès que le voisin monte le son un peu trop fort : "j'vais appeler la police si ça continue !!!!"). Mouarf !
Clin d'oeil "Lutte des classes"
Ce film qui affiche un racisme de comptoir abject (le bon nègre qui distrait son bwana avec le sourire, ça le fait moyen quand même) et se paye, par la même occasion, le luxe de passer la culture occidentale à la moulinette (L'art contemporain ? Un truc de boloss ! L'opéra ? Pour voir des arbres chanter ? Laisse moi rire !), a malgré tout remporté un succès commercial qui ne cesse de m'étonner.
Intouchables restera pour moi un mystère (en plus d'un film au scénario très faible, faut bien le dire).