Les amants peinent -partie I-
C'est encore le cinéma qui me donne envie d'écrire ce soir. A vrai dire, cela fait plusieurs jours que les mots me démangent et que je râle parce que je ne trouve pas le temps de bloguer. Alors que la Croisette tient en otage toute la planète ciné, les films qui arrivent jusqu'à nous me laissent sceptique (séduite par le film de Wes Anderson, réalisateur dont je ne parvenais jamais à pénétrer l'univers, Sur la route et Cosmopolis ne me tentent pas du tout, quant à De rouille et d'os, j'espère trouver quelques instants pour écrire ici tout le mal que j'en pense). Cependant, quelques envies pointent ici et là le bout de leur nez et les bonnes surprises et heureuses découvertes sont parfois au rendez-vous.
Outre le mélancolique et réjouissant The day he arrives (matins calmes à Séoul), de Hong Sang-Soo, deux films récents ont particulièrement retenu mon attention. Que dis-je : ils m'ont totalement enthousiasmée, emballée, euphorisée.
Celui dont il sera question aujourd'hui (l'autre attendra demain) n'a pas manqué de faire couler beaucoup d'encre d'autant que le réalisateur bénéficie d'une forte actualité.
La sortie de Dark Shadows ne m'excitait pas plus que ça : la bande-annonce laissait présager une comédie lourdingue ayant pour unique ressort des anachronismes prévisibles, façon Les Visiteurs, les personnages également me semblaient trop caricaturaux pour être intéressants, l'esthétique "la fête foraine s'invite au cimetière" éculée. Pour être honnête, je ne faisais plus confiance à Tim Burton qui, depuis quelques années maintenant, ne propose que des films fadasses et aseptisés (à mes yeux) (excepté Les Noces funèbres) tandis que, dans un même mouvement, on a vu naître une espèce de fanatisme moutonnier à base de "gniiiiiiiii" prépubères. Il est probable que pour les plus cinéphiles, la dernière véritable bonne action de Burton ait été la palmedorisation de l'Oncle Boonmee de Weerasethakul, quant à sa récente muséification, elle n'a fait que recouvrir son blason d'une nouvelle couche de poussière. Il était temps d'ouvrir les fenêtres en grand, de faire entrer à nouveau dans le manoir burtonien magie et folie douce, romantisme et humour grinçant.
Espoirs entendus puisque Dark Shadows a été, pour moi, une excellente surprise : à mille lieues du film prévisible que je redoutais, cette création reprend les thèmes qui m'ont fait aimer le monde de Tim Burton tout en l'enrichissant.
La voix-off (Johnny Depp) qui nous fait pénétrer doucement ce nouvel univers, nous rappelle que le cinéaste est un incroyable conteur : il suffit de se souvenir de la grand-mère dans Edward aux mains d'argent ou du père fantasque dans Big Fish pour en (re)prendre conscience. Ce sont ces merveilleuses séquences inaugurales, aux airs de "Il était une fois...", qui nous captivent, nous capturent, et donnent aux films de Tim Burton cette structure de contes macabres qui fascinent et réunissent tout ceux qui aiment jouer à se faire peur.
Dès les premières images, je suis donc absorbée, ravie de découvrir un film bien plus sombre que celui vendu par la bande-annonce et les affiches trop colorées. Paysage nocturne et embrumé, vaste demeure isolée donnent le ton d'une oeuvre qui sera résolument gothique, terme galvaudé mais qui sied tellement bien à l'univers burtonien. Puis l'apparition du personnage principal comble toutes mes attentes inavouées, héros solitaire et orphelin, son coeur est brisé, sa vie anéantie par une terrible malédiction : transformé en vampire par une sorcière éconduite, il a la vie devant lui pour pleurer sur son sort. Le voici, le voilà, le romantisme à la Burton fondé sur l'histoire d'un amour pur et empêché.
Les coeurs saignent, les âmes sont tourmentées.
Mais chez Burton, les héros n'ont pas le temps de se laisser aller et la mélancolie a tôt fait de céder sa place à la loufoquerie, les envolées lyrico-tragiques sont remplacées par un univers Pop complètement déglingué, tandis que les morts parlent aux vivants qui côtoient, sans toujous le savoir, d'étranges créatures. Et alors que le héros, Barnabas Collins de son nom, n'en finit pas de nous séduire avec ses bonnes manières et son accent distingué, le réalisateur en profite pour dézinguer une certaine société américaine, comme il l'avait déjà si bien fait dans Edward aux mains d'argent. Ouf ! Tim Burton, l'enfant terrible, nous est rendu. Optimiste mais lucide, il retrouve sa place de fin observateur du genre humain, son matériel de peintre dénonciateur des petits travers de ses congénères, qu'ils soient suceurs de sang ou fan d'Iggy Pop. "My arm is complete again !" pourrait-il s'écrier, à l'instar de son diabolique barbier, alors qu'il est occupé à trancher quelques gorges et que devant sa caméra, les ados en crise se transforment en bêtes poilues.
Beaucoup d'autres choses pourraient être ici écrites et saluées comme l'émouvante présence de Christopher Lee, fidèle admiré ; la scène finale, grandiose et pleine d'énergie, que l'on attendait pas mais qui remet pourtant tout le film en perspective ; ou encore le regard féministe manifeste et jamais trahi du réalisateur qui nous offre une nouvelle fois des portraits de femmes indépendantes et ambitieuses, des héroïnes de caractère : à l'origine de chaque rebondissement, elles font tourner le film.
Vampires et autres créatures nocturnes, solitude du héros, jeunes femmes blondes et spectrales -Victoria ou Virginia-, univers complexes plongés dans les ténèbres ou stagnant dans un entre-deux, onirisme et ironie... Plusieurs éléments de Dark Shadows m'ont ramenée, en fin de projection, vers Twixt de Francis Ford Coppola, film qui m'avait éblouie quelques semaines plus tôt. Et puis Edgar Allan Poe, Alice Cooper : même combat, non ?!
A demain pour la suite les amis :)